lunes, 29 de febrero de 2016

Définition du théâtre :


Le Théâtre est un genre littéraire. C’est une manière d’écrire une histoire, non pas en la racontant (par l’intermédiaire d’un narrateur) mais en la montrant, en faisant « vivre » et parler les personnages qui en sont les protagonistes. Car le texte théâtral cherche à « imiter » le déroulement de la vie, il a vocation à être mis en scène pour devenir un spectacle. Le théâtre relève alors de deux arts : la littérature et les arts de la scène. Un spectacle théâtral est d’ailleurs l’œuvre de plusieurs artistes : l’écrivain bien sûr, mais aussi le metteur en scène, les acteurs, les costumiers… pour bien lire la pièce, il faut donc toujours en peu se demander comment telle ou telle parole doit pouvoir être prononcée, à quel geste elle pourrait être associée.


Le théâtre est d'abord un spectacle et un genre oral, une performance éphémère, la prestation d'un comédien devant des spectateurs qui regardent, un travail corporel, un exercice vocal et gestuel, le plus souvent dans un lieu particulier et dans un décor particulier. Il n'est pas nécessairement lié à un texte préalablement écrit ni publié. 

Pour comprendre ce qu'est le théâtre, et particulièrement pour saisir ses évolutions les plus récentes, il convient donc de toujours mêler les points de vue qui le constituent – les spectateurs, les metteurs en scène, les dramaturges, les scénographes, les régisseurs, les acteurs, les auteurs, les lecteurs enfin. Car le jeu du théâtre n'a cessé, depuis les origines, de mobiliser des individus historiquement, socialement, hiérarchiquement, typologiquement hétérogènes.

L'histoire longue révèle que les choix des lecteurs, des auteurs, des acteurs et des spectateurs ont considérablement varié et se sont, dans une même période, généralement opposés. C'est aujourd'hui évident : après un «âge d'or» du genre dramatique, le retournement contemporain d'un théâtre sans illusion veut que le metteur en scène donne au spectateur quelques matériaux à partir desquels ce dernier devra créer son propre point de vue.

La situation du théâtre contemporain – une phase parmi d'autres – se saisit dans une perspective qui mobilise les histoires de l'architecture, de la littérature et de la voix, de la représentation et de l'écriture, des esthétiques et des idéologies, du statut des acteurs et de l'économie des loisirs. Une approche en quelque sorte à l'image de certaines pièces : totale.


Postface d'Emmanuel Wallon
Première édition. Contient un dépliant
Collection Folio essais (n° 467), Gallimard
Parution : 26-01-2006

Les origines du théâtre


D'où vient cette chose étrange que l'on appelle théâtre ?
Notre proximité avec le XXe siècle ne doit pas réduire notre vision du théâtre aux formes symboliques, idéalisées et intellectuelles qu'il prit à cette époque.
Le théâtre a une origine sacrée : les danses rituelles des premiers hommes en ont certainement posé les bases, et - pour ce qui concerne la culture occidentale - c'est au cours des cérémonies consacrées au dieu grec Dionysos qu'il fit ses premiers pas. Mais le théâtre est aussi (et avant tout !) un art lié à la fête : s'il est le dieu de l'hiver, de la fête des morts et de son dépassement par la conquête de l'immortalité, Dionysos est aussi le dieu du vin, du sexe, et de tous les plaisirs charnels.

Dans sa forme la plus profonde, le théâtre est un hymne joyeux au corps et l'Univers qui l'a fait naître. Le jeu théâtral est d'abord un jeu tout court. Pour comprendre ce qui peut pousser un groupe d'excentriques à enfiler des costumes étranges et à réciter des paroles décalées devant un public ravi, il suffit de nous replonger dans notre enfance : moi je serais la princesse et toi le prince, je serais le cowboy et toi l'indien.

Bousculer les tabous, raviver l'espoir chez le petit peuple opprimé, faire vibrer la corde héroïque de l'ouvrier d'usine, faire rire et pleurer, choquer, rassurer, approuver, contester,... le théâtre est un jeu de l'émotion, même si les acteurs et auteur récents ou ressenti le besoin d'en faire aussi un jeu d'esprit. Comme les pages de ce chapitre vous le montreront, les formes théâtrales trop sérieuses ou intellectuelles n'ont jamais duré bien longtemps. Etouffé par l'église, la censure ou l'académisme, le théâtre populaire a toujours refait surface, même après des siècles de clandestinité malicieuse.

N'en déplaise aux coincés de tous bords, le théâtre obscène, drôle et vulgaire, la comédie dell'arte, le théâtre forain, la farce et le vaudeville représentent la colonne vertébrale de l'art dramatique. C'est parce qu'ils l'avaient parfaitement compris que Molière et Shakespeare sont devenus et restent les piliers de cette forme d'expression. Le théâtre est un art populaire, vivant et festif. C'est à travers cette vision joyeuse que je vous invite à découvrir son histoire.


domingo, 28 de febrero de 2016

Le Théâtre Grec ou Théâtre antique


C’est en Grèce que le théâtre a été inventé. Ce théâtre a eu une postérité dont nous sommes aujourd’hui encore les héritiers. Pourtant il est profondément différent du théâtre moderne par sa dimension religieuse, civique, par le caractère unique des représentations, lors de concours dramatiques pendant les fêtes religieuses, et par les conditions matérielles du spectacle.

Un spectacle religieux
a. L’origine du Théâtre
      Comme toutes les manifestations antiques, le théâtre grec a une forte composante religieuse. Cet aspect s’explique par son origine. En effet il est né des hymnes en l’honneur de Dionysos, peu à peu transformés en pièces de théâtre : un chanteur se détache des autres et leur répond, puis un acteur donne la réplique au chœur (l’ensemble des chanteurs). Un deuxième acteur puis un troisième sont introduits par Eschyle puis par Sophocle.

     De cette origine religieuse, le théâtre conserve des scènes rituelles (scènes de deuil, de sacrifice, de supplication) et des chants en l’honneur des dieux. Sur la scène se trouve un autel dédié à Dionysos, intégré dans la mise en scène et dans l’action de la pièce. La statue du dieu est transportée au milieu de l’orchestra, là où évolue le chœur, et elle y reste pendant toute la représentation. 

b.  les concours tragiques
     L’origine du théâtre explique que les représentations aient lieu lors de grandes fêtes religieuses : les Lénéennes, les Grandes Dionysies, les Dionysies rurales. Les pièces, au Vème siècle, sont donc représentées une seule fois et participent à un concours qui dure quatre à cinq jours.      

     C’est seulement après la grande période classique, à partir du IV siècle que les pièces qui ont remporté un concours sont rejouées et deviennent des pièces de répertoire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elles nous sont parvenues, leurs manuscrits ayant été sans cesse recopiés. Les autres, c’est-à-dire la majorité, ont disparu.

c.  les sujets
     Les sujets des pièces font une très large part à la mythologie : le cycle troyen, la famille des Atrides, celle des Labdacides, Héraclès. Parmi les pièces conservées, une seule évoque un événement historique : les Perses d’Eschyle racontent la défaite des Perses à Salamine.
Les pièces n’ont donc aucun mal à intégrer dans la mise en scène l’autel de Dionysos présent sur la scène : libations, prières, sacrifices prennent tout naturellement place dans l’action. Les auteurs tragiques reprennent les thèmes déjà traités par Homère. Ce n’est pas l’effet de surprise qui est attendu par le public : celui-ci connaît l’histoire dans ses grandes lignes. La nouveauté réside dans le choix de telles ou telles variantes, dans l’accent mis sur tel ou tel personnage, sur un trait de caractère, sur un thème particulier… Le spectateur est donc dans un univers à la fois familier et original.

Un spectacle civique
a.  la chorégie
     Le spectacle théâtral n’est pas seulement une activité religieuse ou un divertissement : il fait partie intégrante de la vie de la cité. C’est pourquoi une des façons de s’acquitter de ses impôts est la chorégie : recrutement et entretien du chœur, des acteurs, du joueur de flûte, achat des costumes et des masques…Ceci au même titre que l’armement d’un bateau de guerre : cela montre l’importance du théâtre dans la vie de la cité.

b. le public 
     Le prix des places était très modiques et les plus pauvres pouvaient assister gratuitement au spectacle et recevaient même de l’argent pour compenser la perte de leur journée de travail.
Le théâtre n’est donc pas un spectacle réservé aux plus riches. C’est une cérémonie qui rassemble toute la cité.

c.  les sujets
     Le théâtre naît en Grèce à une époque où, bien que fortement imprégnés par la religion, le droit et la politique tendent à devenir autonomes. Le théâtre est contemporain et témoin de ce changement.
Par exemple la trilogie d’Eschyle consacrée aux Atrides nous montre une justice archaïque, fondée sur la vengeance reproduisant la violence et le meurtre de génération en génération : Agamemnon sacrifie sa fille Iphigénie; son épouse Clytemnestre la venge en faisant tuer Agamemnon par son amant Egisthe; ces derniers sont à leur tour assassinés par Oreste, fils d’Agamemnon et de Clytemnestre… Dans la dernière pièce de la trilogie, la justice change radicalement, le cycle de la vengeance s’arrête définitivement : Oreste est jugé par un tribunal, celui de l’aréopage. Désormais l’individu est jugé selon ses actes et doit répondre de ses faits et gestes et non de ceux de ses ancêtres. La justice, et avec elle la notion d’intention et de circonstances atténuantes, a remplacé la vengeance.
D’autre part la politique est un sujet de discussion sur la scène théâtrale : on débat des questions d’actualité, de la définition du meilleur régime politique, de la supériorité de la démocratie, de la légitimité du pouvoir…

     La cité met en scène ses valeurs dans la tragédie. Dans la comédie, au contraire, les valeurs de la cité sont critiquées, les hommes politiques dénoncés et caricaturés, même la religion n’est pas épargnée : les dieux sont représentés comme gloutons, peureux, menteurs… ; la société divine décrite par Aristophane est le reflet de la société humaine et de ses imperfections. En échange l’auteur propose une cité utopique.

L’organisation matérielle
a.  le lieu du spectacle
     Le théâtre grec se joue en plein air, dans un endroit choisi pour ses qualités acoustiques. Les gradins sont creusés à flanc de colline : c’est le théatron proprement dit, c’est-à-dire le lieu d’où l’on voit. Le spectacle a lieu dans deux endroits distincts : l’orchestra de forme ronde où évolue le chœur (chants et danses) et le proskénion (proscenium) où jouent les acteurs, devant la skénè qui est le mur de scène (loge des acteurs) sur lequel sont accrochés les décors et derrière lequel se trouvent les coulisses.



b.  les acteurs
     Les acteurs sont au nombre de trois au maximum. Seul le protagoniste (le premier rôle) est célèbre et est mentionné dans les inscriptions. Les deux autres ont des rôles secondaires et restent en retrait. Les costumes sont riches et voyants pour être faciles à voir de loin. Des accessoires permettent de reconnaître le personnage (un sceptre pour le roi par exemple).
     L’utilisation du masque permet aux acteurs de jouer les rôles féminins, de jouer plusieurs rôles puisqu’il n’y a que trois acteurs mais plus de trois personnages. Le masque sert aussi d’amplificateur pour la voix. Les traits grossis du masque sont visibles de loin et permettent aux spectateurs de deviner tout de suite le statut du personnage (vieillard, esclave, roi…) ou ses émotions (haine, colère, pitié…). Les cothurnes (chaussures à épaisse semelle de bois) grandissent l’acteur et lui donnent un air majestueux conforme aux rôles de rois ou de héros de la mythologie. 

    L'origine du masque du théâtre grec n'est pas connue avec exactitude. Ce serait Thespis, l'un des premiers tragédiens grecs, inventeur de la tragédie attique (VIème siècle av JC) qui, en se barbouillant le visage de lie de vin ou de céruse, aurait donné naissance au masque. Certains considèrent cependant que ce serait son élève, Phrynichos*, qui se serait peint le visage en blanc puis à la teinture de pourpier. * Phrynichos d’Athènes (le Tragique), né vers 540 et mort vers 470 av. J.-C., est parfois considéré comme le réel fondateur de la tragédie.

Les masques étaient fabriqués en matériaux divers périssables : bois, cire, cuir... Ces masques originaux ont presque tous disparu, aujourd'hui, il n'en reste que des reproductions, plus petites, en terre cuite. Les masques présentés sur cette page n'ont donc jamais été portés par des acteurs, ils pouvaient être utilisés comme objets de décoration ou déposés dans des sanctuaires (ex-voto) ou dans des tombes.Les masques sont largement percés aux yeux et à la bouche pour permettre aux acteurs de se déplacer et de parler. A l'origine, les masques ne couvraient que le visage, puis ils s'agrandirent pour y fixer des perruques et enserraient complètement la tête, déposés sur une calotte de feutre (le "pilidion"). Le masque était très inconfortable pour l'acteur qui devait en supporter la chaleur.

Il y a différents types de masques ; au IIe siècle ap J.-C., Julius Pollux (Onomasticon) dresse une liste de masques correspondant à 76 personnages (44 modèles de comédie, 28 modèles tragiques et 4 modèles de drame satyrique). Ainsi, grâce à cette codification, les spectateurs, même éloignés de l'orchestra pouvaient reconnaître d'emblée les personnages. La couleur des masques permettait aussi l'identification des personnages : rouge pour les satyres, blanc pour les femmes...

b.  les décors
     L’action se situe dans un palais, un temple pour la tragédie ou une maison pour la comédie. Les murs sont peints sur la skénè. Il y avait peu de changements de lieu : les événements extérieurs sont simplement racontés par un récit de messager (batailles, meurtres, scènes de violence…). Autres éléments de décor : rocher, statue de dieu, tombeau… Les décors sont réutilisés plusieurs fois.
     Une machinerie permet l’apparition ou la disparition dans le ciel de personnages : par exemple Médée s’envole sur son char ailé dans la pièce qui porte son nom.

Le théâtre médiéval


Après l'avoir durement condamné,
c'est finalement l'église qui ressuscite le théâtre en occident.

Le drame religieux
Une messe spectaculaire

Alors que l’Église chrétienne a vivement combattu le théâtre au début du moyen-âge, c'est elle, paradoxalement, qui le réanime en Europe sous la forme du "drame liturgique". Afin d'étendre son influence, elle réhabilite des fêtes d’origine païenne et folklorique, dont beaucoup s’apparentent au théâtre. Au Xe siècle, les offices religieux sont proches de représentations dramatiques.
La procession du dimanche des Rameaux est désormais célébrée par des manifestations théâtrales. Les contre-chants (ou répons), chantés durant la messe ou les heures du canon, évoquent la forme du dialogue. Par l'intermédiaire des tropes, des paroles non liturgiques prennent placent dans la messe. Un trope pascal anonyme constituant un dialogue entre Marie et les anges et datant d’environ 925, est généralement considéré comme l’embryon du drame liturgique. En 970, ce type de représentation comporte une gestuelle et des costumes, qui apparaissent comme une première ébauche de mise en scène.

Le drame liturgique
Les premières pièces connues sont la "Visite au sépulcre" (Visitatio Sepulcri) datant de 915 et attribuée au moine Tutilon et les œuvres hagiographiques de Hrotsvitha von Gandersheim. Durant les deux siècles suivants, le drame liturgique se développe à travers des épisodes tirés de la Bible, joués en latin dans les monastères puis dans les églises. Initialement, les églises et les habits sacerdotaux tiennent lieu de décors et de costumes. Mais on imagine bientôt des aménagements plus complexes, la scène étant constituée de la "mansion" et de la "platée". La mansion est une petite structure scénique (généralement une tente), symbolisant un lieu particulier (le jardin d’Éden, Jérusalem, etc.), et la platée une zone neutre, utilisée par les interprètes pour jouer autour de la mansion.

L'abandon progressif du latin
Texte anonyme anglo-normand de la seconde moitié du XIIe siècle (1165), le "Jeu d’Adam" est le premier drame connu en langue vulgaire. Bien que très proche du drame liturgique, il s’en distingue toutefois par une caricature des personnages. Trilogie inspirée par le dogme de l’Incarnation ("Tentation", "Péché", "châtiment d’Ève et d’Adam", "Meurtre d’Abel par Caïn", "Procession des prophètes du Christ"), il comprend 942 vers et comporte des didascalies latines riches et précises.

Les premiers "mystères" et "miracles"
De nombreux récits bibliques sont représentés, de la Création à la Crucifixion. Ces pièces sont appelées "mystères de la Passion", "miracles" ou encore "pièces saintes".
Des mansions spécifiques sont dressées autour de la nef, le paradis étant généralement situé au pied de l’autel, une gargouille (tête monstrueuse avec une gueule béante) représentant l’entrée de l’enfer de l’autre côté de la nef. Acteurs et spectateurs se déplacent d’un bout à l’autre de l’église selon les nécessités du récit.

Les pièces sont divisées en épisodes, couvrant chacun des milliers d’années et réunissant des lieux très éloignés, à l’aide de raccourcis allégoriques. À l’inverse de la tragédie grecque, qui s’organise autour de la progression vers un apogée cathartique, le théâtre médiéval évoque le salut de l’humanité et ne crée pas de tension dramatique intense.

Le drame sort de l’Église
Le rôle didactique du drame liturgique s’efface peu à peu derrière l'attrait du divertissement et du spectacle. Ces spectacles n'ont plus leur place dans un lieu de culte et après plusieurs scandales, l’église choisit de déplacer la scène théâtrale sur les places de marché. Tout en conservant des thèmes religieux, le théâtre s’oriente vers une forme de représentation plus indépendante. Les deux œuvres représentatives de cette époque sont le jeu dramatique de Jean Bodel, "le Jeu de saint Nicolas" (v. 1200), et la pièce allégorique de Rutebeuf, "le Miracle de Théophile" (1263).

La Fête-Dieu
Au XIVe siècle, le théâtre s’émancipe du drame liturgique. Dans le cadre de la Fête-Dieu, les représentations sont organisées sous la forme de cycles, qui peuvent comporter jusqu’à quarante pièces. Ces cycles sont joués par l'ensemble du village, tous les quatre ou cinq ans, et sur une durée de quelques jours à un mois. Chaque pièce du cycle est confiée à une corporation, en fonction de ses affinités avec le sujet (par exemple, les constructeurs de bateaux mettent en scène l’épisode de l’arche de Noé).


Le théâtre profane

A la même époque, le théâtre profane se développe aussi. Il est représenté entre autre par les "jeux-partis", drames où se succèdent scènes satiriques, burlesques et féeriques d’Adam de la Halle. Cette forme théâtrale comporte divers jeux de troubadours et de jongleurs, récitant des monologues.

Un théâtre non professionnel
La disparition des jongleurs, au XIVe siècle, marque la fin du théâtre profane professionnel. Les acteurs sont des amateurs le plus souvent illettrés et les pièces sont écrites en vers simples et faciles à mémoriser. Des auteurs inconnus pratiquent un réalisme sélectif, indifférent aux limites spatio-temporelles, truffé d’anachronismes et de références locales ou contemporaines. Une certaine forme de poésie l'emporte largement sur la cohérence et la logique de narration.

Les costumes et les accessoires sont toujours contemporains tandis que la reconstitution des épisodes bibliques repose sur des détails authentiques parfois à l'origine d'accidents (on recense de nombreux exemples d’acteurs qui ont failli mourir d’une crucifixion trop réaliste, ou d’interprètes du diable gravement brûlés, etc.). À l’inverse, le passage de la mer Rouge est simplement évoqué par la déchirure d’une pièce de tissu rouge, jetée ensuite sur les Égyptiens pour suggérer leur noyade. Ce libre mélange de réalisme et de symbolisme ne heurte pas la sensibilité de l’époque. La représentation s’agrémente d’effets spectaculaires, comme les exercices d’habileté pyrotechnique.

Les "moralités"
Dans le même temps, on voit donc apparaître des pièces folkloriques, des farces profanes et des drames pastoraux, tandis que se perpétuent les multiples formes de divertissement populaire. Tous ces genres influent sur le développement, au XVe siècle, d’un théâtre moraliste.


Bien que vaguement inspirées, pour le thème et les personnages, par la théologie chrétienne, les "moralités", à la différence des "cycles", ne sont plus basés sur les récits bibliques. Ce sont des pièces autonomes, jouées par des professionnels. À l’exemple d’une pièce comme "Tout le monde" (anonyme, XVe siècle), elles évoquent les étapes de la destinée de l’être humain, à l’aide de figures allégoriques (la Mort, la Gourmandise et divers défauts ou qualités, etc.). Les acteurs font alterner action et musique. Ils exploitent les ressorts comiques des démons et des figures allégoriques du vice pour créer une forme de drame populaire qui rencontre un vif succès.

Le théâtre de la renaissance

 

De la redécouverte du théâtre antique
à la naissance du théâtre moderne.

Le théâtre italien
La comédie "érudite" engendre une nouvelle forme de tragédie
En Italie, le mouvement humaniste permet, dès la fin du XIVe siècle, la redécouverte du théâtre antique et de la Poétique d’Aristote. Séduits par cette nouvelle mode, les grands seigneurs financent désormais les représentations théâtrales. Les premières pièces, en latin avant d’être écrites en langue vernaculaire, se basent  sur le modèle romain : les pièces latines sont d’abord traduites puis imitées. Elles s’appuient sur la Poétique d’Aristote (prologue, cinq actes, reconnaissance finale).

Ces pièces se libèrent rapidement de leurs modèles par des apports thématiques nouveaux — satire de la vie contemporaines, thèmes empruntés à Boccace, comme l’adultère. Ce nouveau théâtre, appelé aujourd’hui "érudit", est surtout constitué de comédies. L’un des premiers auteurs de comédies érudites est l'Arioste (la Cassaria, 1508). Certaines de ces pièces sont très populaires, comme la farce cynique de Machiavel, la Mandragore (1524). Les règles appliquées dans ce répertoire ont longtemps influencé le théâtre européen.

Une décennie plus tard l’Italie voit naître un théâtre plus sérieux et moralisateur avec le genre baptisé "pastorale" (notamment avec les figures du Tasse ou de Gian Battista Guarini). Parallèlement, la tragédie retrouve un regain d’intérêt. La Sophonisbe (Sofonisba, v. 1515) de Gian Giorgio Trissino est considérée comme la première tragédie italienne régulière.
À Florence les tragédies ne sont pas écrites pour être représentées mais lues ou récitées. A Rome, en revanche, les tragédies sont destinées à la scène, comme celles de Giraldi Cinthio (1504-1573). Ce dernier, qui s’affranchit des règles de la Poétique afin de les rendre plus accessibles au public, développe un style de tragédie nouveau inspiré de l’œuvre de Sénèque. Il crée un nouveau type de tragédie, au dénouement heureux. 

L'esprit du théâtre classique italien
L’idée qui guide l’art de la Renaissance est celle de la vraisemblance. Il ne s'agit  pas d’une imitation servile du réel, mais plutôt du refus de l’improbable et de l’irrationnel, l’accent étant mis sur un idéal éthique et esthétique rigoureux. C’est ainsi que comédie et tragédie se séparent, que les chœurs et les monologues disparaissent, et que les personnages n’apparaissent plus comme des individualités mais comme des types abstraits et symboliques.

L’adoption de la règle des trois unités se généralise : temps, lieu et action. Se référant toujours à la pensée d’Aristote, les théoriciens reformulent ses règles : une pièce ne peut comporter qu’une seule intrigue, elle doit se dérouler dans un laps de temps de vingt-quatre heures et dans un lieu unique. La raison invoquée est que le public, se trouvant dans un endroit précis et durant un certain temps, ne peut croire à l’action d’une pièce s’étendant sur plusieurs jours et en différents endroits car cela irait à l’encontre de la vraisemblance. La qualité d’une œuvre est d'avantage estimée en fonction du respect de ces règles qu'en fonction des réactions du public. Formulées en Italie, celles-ci sont également appliquées à la lettre en France.

La commedia dell’arte
Tandis que l’élite apprécie les spectacles inspirés du théâtre antique, le grand public lui préfère la "commedia dell’arte", forme de théâtre populaire fortement basé sur l’improvisation.  Héritières de plusieurs traditions du XVIe siècle, des troupes de comédiens créent des personnages typés (serviteurs comiques, vieillards, avocats, docteurs ridicules, amants, etc.). Ces mêmes personnages apparaissent dans des centaines de pièces bâties sur un canevas simpliste, qui fixe les grandes lignes, les entrées et les sorties, et certaines répliques classiques dévolues à chaque acteur.

Dans ce cadre, les acteurs peuvent librement exécuter leurs jeux de scène et leurs morceaux de bravoure, appelés "lazzi". Les personnages de ce répertoire gagnent peu à peu toute l’Europe. Les troupes ne jouent plus seulement dans les rues, mais aussi devant les courtisans.
La commedia dell’arte atteint son apogée entre 1550 et 1650, et marque de son influence des formes de théâtre très diverses, depuis le théâtre de marionnettes turc jusqu’aux pièces de William Shakespeare et de Molière.

La naissance de l’art lyrique
La sophistication des représentations et des intermèdes, en même temps que l’ambition de recréer le style classique, aboutissent, à la fin du XVIe siècle, à la naissance de l’opéra. Alors que le théâtre classique n’a toujours qu’une audience limitée, l’opéra devient très vite populaire. Au milieu des années 1600, on construit en Italie d’impressionnants théâtres consacrés à l’opéra : ils comprennent une vaste scène, une salle en forme de fer à cheval et un grand nombre de loges, alignées le long des murs intérieurs afin de ménager des lieux privés. La visibilité y est généralement mauvaise, mais le public aristocratique y vient autant pour être vu que pour voir.

Le théâtre français
Le théâtre de la Renaissance
Au milieu du XVIe siècle, en France, l’Église met fin à tout un pan du drame religieux. La Renaissance opère une tentative de résurrection de l’art dramatique inspiré du modèle antique. Mais ce nouveau genre ne rencontre pas de réel engouement : on écrit et on représente peu de pièces.
Parmi les grandes œuvres du siècle figure Abraham sacrifiant (1550) de Théodore de Bèze, un modèle de théâtre protestant qui préfigure le théâtre classique du XVIIe siècle. Étienne Jodelle, considéré comme le créateur du "théâtre humaniste", est le premier à écrire des tragédies en vers français (Cléopâtre captive, 1553) et à renouer avec les règles antiques, notamment avec la règle des trois unités. L’époque est également marquée par les œuvres d’Alexandre Hardy (v. 1570-1632) et de Robert Garnier (les Juives).

Le genre de la comédie semble avoir été apprécié, mais la postérité n’a gardé en mémoire que peu d’œuvres de ce siècle au style le plus souvent pesant et ronflant.

Naissance de la "farce"
Bien que l'origine de la farce reste floue et fasse l'objet de controverses, il semble bien que ce genre soit apparût aux environs du XIIIe siècle. Il a sans doute été pratiqué d’une façon plus ou moins continue jusqu’au XVIe siècle où, grâce à l’influence de la commedia de l‘Arte, il s’installe alors comme un genre particulièrement populaire et apprécié qui laisse peu de place au théâtre d’inspiration antique.

En l’absence de salle de théâtre à Paris, on utilise les esplanades de jeu de paume pour les spectacles. À la cour, on voit se développer l’équivalent des intermèdes italiens. Ce nouveau genre prend le nom de "ballet". Même si la plupart des farces sont issues de la tradition orale, certaines sont écrites, telles que Le Garçon et l’Aveugle (XIIIe siècle), première farce française connue, et La Farce de Maître Pathelin, une œuvre écrite vers 1465 et qui inspira nombre d'auteurs par la suite.
La farce est satirique mais elle échappe à la censure car elle fait rire les gens. Près de 250 pièces brèves ont été conservées. Les personnages sont des gens du peuple (boutiquier, artisan, paysan, moine, etc.) et sont peu typés. Lorsqu’un noble ou un gentilhomme apparaît dans la farce, il est ridiculisé. Comme dans les fabliaux, les occupations des personnages sont très matérielles et peuvent se résumer à la recherche d'argent, de nourriture ou d'amour. Le monde de la farce est un monde de tromperie dans le lequel tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins. Comme dans toute comédie, le faible triomphe généralement à la fin de la pièce. Les moines sont paillards et débauchés. Le décor est simple et permet de jouer dans n'importe quel lieu.
Le renard, animal rusé, sournois et preste, est souvent le personnage principal de ces pièces. Il préfigure sans aucun doute le personnage du valet que l'on retrouvera dans la plupart des comédies des siècles suivants.

Les mystères tournent à la bouffonnerie
Apparus au moyen-âge, les "mystères" pieux qui se consacrent à la vie du Christ et à la célébration de Dieu font l'objet d'une théâtralisation de plus en plus poussée.  La décoration suit une règle précise : trois échafauds superposés représentent l’enfer, le purgatoire et le ciel. Dans le bas se trouve l’enfer, symbolisé par une énorme gueule de diable, rouge, velue, et décorée de diablotins crachant le feu. Dans le haut, la toile représente le ciel avec des nuages, des anges, et au beau milieu, Dieu le Père, qu’entourent des Saints à longue barbe. Le purgatoire, plus épuré, se trouve au milieu.

Des escaliers permettent de passer d'un décor à l'autre, représentant l’ascension de l’âme qui partie de l’état de péché, arrive à la félicité céleste. Devant chacun des trois décors se trouve aussi une scène sur laquelle figurent des acteurs et des animaux, comme la vache de Bethléem ou bien encore l’ânesse de Balaam. A la renaissance, les mystères religieux subissent de plus en plus fortement l'influence de la farce populaire et finissent par se confondre avec elle.

Les acteurs amateurs choisis parmi les gens du village profitent de la représentation pour s'amuser et amuser l’assistance qui reconnait facilement l’épicier, le sellier ou le barbier et qui n'hésite pas à interpeller par des réparties, vives et drues, le malheureux Barrabas ou le Christ lui- même. Quand Marie-Madeleine pleure aux pieds du Christ, on crie à l’un des acteurs d’aller retrouver sa femme qui est en train de le tromper ou à un autre de se sauver vite parce que ses chausses ont pris feu. L’ânesse de Balaam refuse parfois de traverser la scène ou la vache, sans souci du lieu, s’oublie sur scène. Autant d'occasion de rire et de tourner le spectacle en bouffonnerie.

Le classicisme
Le théâtre dit "classique" s’impose à partir des années 1630, avec les tragédies de Pierre Corneille, puis celles de Jean Racine. Sous l’influence du cardinal de Richelieu, les dogmes classiques sont appliqués avec rigueur. Le Cid (1637) de Pierre Corneille est condamné par l’Académie française (Institut de France), malgré son considérable succès, pour avoir enfreint les règles de la vraisemblance. Les pièces de Jean Racine portent la structure et la prosodie classiques à leur point de perfection, tout en reprenant des sujets mythologiques.

Contemporain des deux tragédiens, Molière est l’un des plus grands dramaturges français. Ses pièces s'inspirent des différents styles de l'époque et notamment de la farce, de la commedia dell’arte, et des comédies de mœurs, mais elles dépassent les limites de l’observation sociale pour mettre en scène les travers de l’âme humaine. Molière qui dirige une compagnie théâtrale, pour laquelle il écrit ses pièces, est également le plus grand acteur comique de son temps. Son jeu rompe avec le style affecté et pompeux qui caractérisait alors le jeu des comédiens français. Mais le succès de son théâtre n’empêche pas l’ancien style "noble" de conserver les faveurs du public français, jusqu’à l’avènement du romantisme.

Les règles du théâtre classique
Le théâtre de la seconde moitié du XVIIe siècle est appelé "théâtre classique" parce qu'il obéit à un ensemble de règles inspirées du théâtre antique (et notamment d'Aristote). Ces règles furent formulées explicitement pour la première fois par l'abbé d'Aubignac.

Les trois unités
Boileau résume ces contraintes comme suit :
Qu'en un lieu, en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli.

   En un jour : L’unité de temps
L’action ne doit pas dépasser une «révolution de soleil» selon Aristote. L'idéal du théâtre classique voulait que le temps de l'action corresponde au temps de la représentation. C'est Racine qui s'en est le plus approché, dans Athalie.
   En un lieu : l'unité de lieu
Toute l'action doit se dérouler dans un lieu unique (un décor de palais par exemple pour une tragédie ou un intérieur bourgeois pour une comédie). Cette règle a connu une évolution vers une plus grande rigueur après 1645. Auparavant, l'action pouvait avoir lieu dans différents lieux d'un même lieu d'ensemble, une ville par exemple. Par la suite, l'unité de lieu s'est resserrée autour d'un lieu unique représenté par la scène.

   Un seul fait accompli : l'unité d'action
Tous les événements doivent être liés et nécessaires, de l'exposition (présentation des personnages et de la situation) jusqu'au dénouement de la pièce. L'action principale doit être ainsi développées du début à la fin de la pièce, et les actions accessoires doivent contribuer à l’action principale et ne peuvent être supprimées sans lui faire perdre son sens.

La règle de bienséance
Conformément au respect de la vraisemblance et de la morale, le spectacle ne doit pas choquer le spectateur. Violence et intimités physiques sont donc exclues de la scène. Les batailles et les morts doivent de se dérouler hors scène et être rapportées au spectateur sous forme de récits. Quelques exceptions comme la mort de Phèdre chez Racine ou celle de Dom Juan chez Molière sont restées célèbres.

Boileau la résume ainsi :
Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit nous l'expose :
Les yeux en le voyant saisiront mieux la chose ;
Mais il est des objets que l'art judicieux
Doit offrir aux oreilles et reculer des yeux

La catharsis
Elle a normalement lieu au cours du dénouement et correspond à la purgation des passions. Le spectateur doit être touché et doit se sentir concerné par ce qui se déroule sur la scène.

Elle est décrite par Boileau ainsi :
Que dans tous vos discours la passion émue
Aille chercher le cœur, l'échauffe et le remue.

Dans le théâtre de la renaissance on trouve : Le théâtre anglais si vous voulez vous pouvez clique ici pour plus d’information.

Le théâtre élisabéthain ou Théâtre de l’Angleterre
La scène élisabéthaine
Le théâtre de la Renaissance nait en Angleterre sous le règne d’Élisabeth Ire, à la fin du XVIe siècle. Contrairement à l’art dramatique continental, le théâtre anglais préserve et perpétue la tradition médiévale de théâtre populaire. Entraînés par le mouvement politique et économique, ainsi que par l’évolution de la langue, des auteurs dramatiques comme Thomas Kyd et Christopher Marlowe donnent naissance à un théâtre épique, dynamique et vivant, qui atteint son apogée avec l’œuvre de William Shakespeare.
Les pièces de William Shakespeare, écrites en vers (mêlés souvent de prose), empruntent leur structure à Sénèque, à Plaute ou à la commedia dell’arte, associant sans complexe tragédie et comédie, spectacle, musique et danse. Leurs intrigues couvrent de grandes étendues spatio-temporelles et mettent en scène des princes et des brigands. Leurs thèmes, empruntés à l’histoire plutôt qu’au mythe, invitent à la réflexion politique et impliquent une mise en scène empreinte de violence. Les comédies, souvent pastorales, utilisent des éléments magiques et irrationnels. Ben Jonson est l’un des auteurs qui observent très strictement les préceptes classiques. Le jeu des premières pièces élisabéthaines est emphatique, mais le théâtre de Shakespeare inspire à des acteurs comme Richard Burbage un style plus sobre et naturel. Les décors, réduits au strict minimum, sont composés de quelques accessoires et de morceaux de tissu.

Le "masque"
Après la mort d’Élisabeth Ire, le théâtre, à l’image du contexte politique, adopte une tonalité plus sombre ; les comédies, en particulier celles de Ben Jonson, expriment un cynisme désabusé. Parallèlement, on voit apparaître une forme complexe de théâtre de cour baptisé le "masque". Tout comme les intermèdes italiens et les ballets français, les masques présentent des récits allégoriques (le plus souvent des hommages au protecteur royal), illustrés par un spectacle musical et dansé. Le principal auteur de ces divertissements somptueux auxquels participent le noble public, parfois le roi et la reine, est Ben Jonson. Son principal décorateur est Inigo Jones, qui réalise, dans le style italien, des machineries à sensation.

En 1642, la guerre civile éclate, et le Parlement, influencé par les puritains, fait fermer les théâtres jusqu’en 1660. La majeure partie des salles est alors détruite, et avec elles l’essentiel de la mémoire du théâtre anglais de la Renaissance.

Les femmes montent sur les planches
A la Restauration, les représentations ne s’adressent plus qu’à une élite fortunée. On ne reconstruit que quelques rares théâtres, qui s’inspirent des modèles italien et français. La structure de la scène élisabéthaine est désormais associée à celle de la scène italienne et à des perspectives mobiles. Pour la première fois depuis le Moyen Âge, on autorise les femmes à interpréter des rôles. La cour de Charles II est revenue de son exil français et les pièces suivent à la lettre les préceptes classiques français. Les tragédies datant de cette fin de siècle nous apparaissent comme affectées et académiques, alors que certaines comédies de mœurs, comme celles de William Congreve, se distinguent par une sensualité suggestive et un esprit critique débridé. 

Le théâtre espagnol
Initié par la Célestine (1499), une tragi-comédie de Fernando de Rojas, le théâtre espagnol de la Renaissance s’ouvre à la modernité.
Malgré les réticences des autorités civiles et religieuses, la fin du XVIe siècle voit apparaitre des troupes permanentes et un nouvel espace scénique, les corrales (théâtres commerciaux). Cette professionnalisation des métiers du théâtre faite naître un théâtre nouveau, appelé comedia nueva ("nouvelle comédie"), sorte de tragi-comédie empruntant davantage aux traditions espagnole et italienne qu’à l’Antiquité. Ce nouveau genre se caractérise par des expériences théâtrales nombreuses et variées mais plonge ses racines dans la tradition espagnole (fondée sur des idéaux liés à l’honneur, à la foi et à la souveraineté du droit divin) et touche autant le public cultivé que le peuple.
Dans la lignée de Lope de Vega, de nombreux auteurs du "Siècle d’or" s’imposent tels Tirso de Molina, Guillén de Castro y Bellvís, Juan Ruiz de Alarcón y Mendoza ou Pedro Calderón de la Barca. Ce dernier est l’un des principaux représentants de l’auto sacramental (pièce religieuse allégorique, représentée pour la Fête-Dieu — la Vie est un songe, 1633), genre auquel s’essaient les principaux auteurs de ce siècle. Mais contrairement à ce qui se passe en France et en Angleterre, le théâtre espagnol  est bientôt réinvesti par des formes religieuses.


Le théâtre en l’Angleterre

L’avènement du théâtre élisabéthain

Le théâtre élisabéthain rassemble l’ensemble des pièces réalisées en Angleterre sous le règne d’Élisabeth Ire (1558-1603) et, plus largement, sous celui de ses successeurs, Jacques Ier (1603-1625) et Charles Ier (1625-1649).

a. Londres, siège du théâtre élisabéthain
La Province, fidèle à la foi catholique et préférant davantage le théâtre religieux hérité du Moyen Âge (mystères et moralités), est également plus lente que la capitale à admettre le renouveau théâtral. Par ailleurs, à Londres, les représentations théâtrales dans les auberges sont interdites par la municipalité, à partir de 1574. Cette défense, au sein d’une ville au demeurant en plein essor, favorise la construction de plusieurs théâtres permanents, propres à accueillir de nouvelles formes théâtrales. Cependant, ces théâtres doivent demeurer aux portes de la ville, au même titre que les maisons de jeux, les maisons closes ou les hospices, dans des zones franches où règnent la misère et la pauvreté.

b. Des théâtres à foison
Le premier théâtre public permanent, baptisé The Theater, est construit en 1576, et cinq autres sont édifiés de 1577 à 1613. Mais ces théâtres ne connaissent pas de positions stables : par exemple, The Theater déménage au sud de la Tamise et devient le célèbre Globe où Shakespeare et sa troupe se produisent, avant qu’il ne brûle en 1613. Il existe également un théâtre privé, plus petit que le Globe mais mieux équipé : The Blackfriars, situé à l’intérieur de la ville. La troupe de Shakespeare s’y produit parfois à partir de 1608. L’abondance des théâtres stimule la concurrence, incitant chacun à trouver un style et une identité propres.

c. Un théâtre professionnel
L’hostilité de la municipalité de Londres à l’égard du théâtre est compensée par le goût de la reine pour ce divertissement et c’est sous son règne que les comédiens se professionnalisent. Si l’existence de troupes attachées à des maisons de gentilshommes précède l’époque élisabéthaine, celles-ci sont saisonnières et composées d’amateurs. Mais en 1572, les acteurs sans protecteur, accusés de vagabondage, sont interdits. En revanche, la cour favorise la création de troupes officielles, affiliées à un patron noble et sédentarisées : la troupe des Comédiens de l’Amiral et celle des Comédiens du Chambellan, à laquelle appartient Shakespeare, sont les plus célèbres. La concurrence entre les théâtres et la sédentarisation des comédiens augmentent la qualité des spectacles et étendent la renommée des troupes, rapidement sollicitées pour des tournées au-delà de l’Angleterre.

Les trois acteurs du théâtre élisabéthain : le lieu, le public, la troupe
a. Le lieu théâtral
• Architecture d’ensemble
De forme circulaire, à la manière des arènes, ces théâtres possèdent trois étages de galeries en bois couvertes et un parterre, le tout pouvant accueillir deux à trois mille spectateurs. Au centre, se trouve la scène, appelée scène ouverte, et bordée sur trois côtés de spectateurs : cette disposition favorise la proximité du public avec l’action dramatique.

• La scène
La forme donnée à la scène est une contrainte dont les dramaturges doivent tenir compte dans la composition de leurs pièces. L’espace scénique est relativement limité. L’avant de la scène comporte une trappe. À l’arrière, la scène est limitée par le bâtiment des comédiens. Celui-ci est percé de deux portes pour les entrées et sorties des personnages, et surmonté d’une galerie destinée aux spectateurs, à des musiciens ou aux comédiens (par exemple dans la scène du balcon de Roméo et Juliette). Il comporte également un toit de chaume soutenu par deux piliers.

• Inconfort
Les scènes des théâtres sont à ciel ouvert et soumises aux intempéries, ce qui empêche tout décor élaboré. Les représentations ont lieu l’après-midi, profitant ainsi de la lumière naturelle. Seul le Blackfriars, dont la scène est dotée d’un toit fort précieux en hiver, propose des spectacles en soirée, à la lumière artificielle, avec un décor plus raffiné.

b. Le public
Le théâtre public est un lieu de mixité sociale. Pour un prix modique (un penny), la population la plus modeste (étudiants, ouvriers, soldats, domestiques…) a accès aux places debout du parterre, et constitue un public aussi turbulent que pittoresque. Les places assises des galeries, au tarif plus élevé, sont réservées aux bourgeois et aux gentilshommes. La diversité du public conditionne en partie l’écriture des pièces, qui mêle les registres pour séduire le plus grand nombre.

c. La troupe
En raison de la concurrence, les troupes doivent renouveler souvent leur répertoire, ce qui explique sans doute la prolixité (= caractère diffus, bavard) de Shakespeare, notamment à partir de 1593. Les comédiens montent généralement une nouvelle pièce en quinze jours ; leur nombre par troupe étant limité, ils doivent apprendre rapidement plusieurs rôles en même temps. Les comédiens étant exclusivement des hommes, les rôles féminins sont tenus par de jeunes adolescents.

La poétique du théâtre élisabéthain
Le théâtre élisabéthain n’est pas explicitement codifié, comme le sera, au siècle suivant, le théâtre classique français. S’il conserve les marques du théâtre médiéval, on retrouve, d’une pièce à l’autre, les caractéristiques qui lui sont propres.

a. Un espace changeant
La position centrale de la scène ouverte n’autorise pas de décor sophistiqué. De ce fait, l’espace reste neutre et facile à investir : il se prête aisément, d’une scène à l’autre, au changement. L’unité de lieu n’existe pas. La scène n’en demeure pas moins un lieu symbolique, qu’un objet permet d’identifier : un trône pour figurer une salle d’apparat, un lit pour une chambre… L’espace est structuré par un jeu d’oppositions horizontales (avant/arrière) ou verticales (haut/bas) : dans Roméo et Juliette, lors de la scène du balcon, Roméo sort de l’ombre et finit par annuler cette opposition en rejoignant Juliette.

b. Prépondérance des personnages
Dans un espace aussi épuré, les personnages jouent un rôle essentiel. Ce sont eux qui, à travers leurs discours, donnent sens aux lieux évoqués. Les personnages sont des personnages de convention et correspondent à des types hérités du Moyen Âge ou de la comédie latine : le scélérat, le bouffon… La magnificence de leurs costumes concentre sur eux l’attention du public et participe à leur caractérisation. Mais chez Shakespeare, si les personnages agissent d’ordinaire conformément à leur type, il peut survenir parfois un revirement dans leur comportement, compromettant ainsi toute unité de caractère. Cette entorse permet aux personnages de sortir de leur type et de gagner en épaisseur psychologique. Aux prises avec leurs passions, ils incarnent la complexité humaine.

c. Virtuosité langagière
Si la vraisemblance n’est pas primordiale, la qualité du langage, en revanche, est essentielle. L’importance du personnage est signifiée par son costume mais surtout par son discours.

• Soliloques et monologues
Ils sont récurrents au théâtre et correspondent à de grands moments d’émotion. Qu’un personnage s’exprime pour lui-même au milieu d’autres (monologue) ou qu’il soit seul sur scène (soliloque), il entretient, à travers ce type de tirades, une complicité avec le public, encore augmentée par la configuration de la scène.

• Complexité rhétorique
L’époque élisabéthaine fait la part belle à la grande rhétorique, cet art langagier qui brille par sa sophistication. Le texte théâtral est doté d’une forte charge poétique, et l’on parle volontiers de poème dramatique. Ce poème théâtral use notamment de toutes les figures de l’analogie (métaphore, métonymie), pratique abondamment les jeux sonores (paronomase) et jeux de mots (polysémie). Le raffinement du discours est tel, qu’il en obscurcit parfois le sens. Il propose cependant différents niveaux de compréhension, à l’origine de la densité significative du texte. La pratique du double langage est aussi une manière de révéler, en cette période de doute et de soupçon, la dualité, voire la duplicité humaine.

• Variété des registres
Le théâtre élisabéthain fait appel à des types de personnage très variés qui adoptent un discours conforme à leur caractère. Le discours dramatique doit donc faire appel à tous les registres (comique, pathétique) et à tous les styles (bas, médiocre, noble).

L’essentiel
En Angleterre, l’époque élisabéthaine est à l’origine de la création du théâtre en tant que lieu permanent de représentation et de la professionnalisation des métiers qui lui sont relatifs. L’architecture de ce théâtre agit, auprès du dramaturge, comme une contrainte formelle qui conditionne l’écriture des pièces, lesquelles sont caractérisées par la prééminence des personnages et de leur discours.