Beaumarchais ne se
résout pas à être un simple amuseur, et, ne serait-ce que son répertoire
comique, le Barbier de Séville et le Mariage de Figaro, auquel
on peut joindre Tarare, il y veut faire penser autant que faire rire,
ce qui n'est pas pour en diminuer la valeur ni en affaiblir la portée. Le
Barbier de Séville, d'abord opéra-comique dans la pensée de l'auteur,
garde quelque chose de sa forme première. Devenue comédie en prose,
que les comédiens du théâtre des Italiens refusèrent de jouer, la pièce fut
reçue aux Français, car les Mémoires avaient mis en vue
l'écrivain ; mais la police eut peur d'un scandale, et pendant
trois années la pièce dut attendre. La représentation eut enfin lieu.
Mais le Barbier avait cinq actes, on le trouva long, et l'accueil
manqua de chaleur. Beaumarchais n'hésita pas : entre la première
et la deuxième représentation, il fit des coupures, réduisit le spectacle à
quatre actes, et, sous cette forme nouvelle, le Barbier provoqua d'unanimes
applaudissements.
Almaviva, grand d'Espagne,
amoureux de Rosine que son tuteur, le médecin Bartholo, surveille jalousement, se déguise en bachelier, rôde
sous les fenêtres de la jeune fille, etparvient à s'entretenir
un instant avec elle : il apprend qu'un mariage, forcé, doit, malgré
l'opposition de Rosine, l'unir demain à Bartholo. Grâce à un nouveau
déguisement, celui de maréchal-vétérinaire, Almaviva pénètre dans cette maison bien gardée,
puis sous le costume d'un maître de chant, prétendu élève de Bazile,
y pénètre une seconde fois, et, à la faveur d'une leçon de musique, peut
communiquer avec Rosine : rendez-vous est pris pour minuit. Le comte
entrera au moyen d'une clef de fenêtre dérobée par l'industrieux Figaro. Or, à
ce même moment, Bartholo décide que son mariage avec la jeune fille
aura lieu, et fait venir le notaire : pendant une absence du docteur, le
comte et Figaro entrent chez Rosine. Le notaire, mandé par Bartholo,
arrive, confond Almaviva avec l'impatient fiancé, et dresse le contrat de
mariage de Rosine. Quand Bartholo revient, il est trop tard pour s'opposer
au fait accompli, et la police, dont le tuteur invoque la protection, est
d'autant moins disposée à tenir tête à un grand d'Espagne, qu'il semble bien que
Bartholo ait usé de violence dans sa conduite à l'égard de sa pupille.
Beaumarchais proteste qu'il
a voulu faire seulement un « imbroille » (imbroglio) mais à la vieille gaieté
française il a joint, dit-il, « le ton léger de la plaisanterie
actuelle ». Entendez qu'au lieu d'imaginer des « mots de personnages »,
c'est-à-dire des traits empruntés à leurs caractères, il les tire de son propre
fonds, et multiplie les « mots d'auteur » : c'est de l'esprit
toujours, et du plus vif, et du plus brillant, mais de l'esprit « à côté »
et d'espèce un peu inférieure.
Le sujet était banal et
ressassé; une jeune fille, aimée de son tuteur qui en veut
à la fois à sa personne et à ses biens, aimée aussi d'un jeune seigneur,
résiste victorieusement à l'amour sénile, grâce à l'adresse d'un ingénieux
complice.
Comment Beaumarchais
renouvelle-t-il cette vieillerie ? D'abord et surtout en modifiant les types
connus : le « jeune premier », comte Almaviva, possède une
science remarquable du déguisement ce grand d'Espagne se grime comme un pitre.
Il est tour à tour bachelier soldat, maître de chant : quelle prison
ne s'ouvrirait devant lui ? Cela change des étourdis parfois un peu niais de Molière.
Quant à Rosine, c'est une honnête fille, mais qui a perdu les grâces
de l'innocence : elle ne provoque pas les allusions égrillardes, mais elle
les comprend ; elle n'est qu'une demi-ingénue.
Le tuteur lui-même,
Bartholo, n'est plus un naïf : il en remontrerait à un grand
inquisiteur pour le luxe des précautions et la méticulosité de
ses enquêtes. Sa jalousie est clairvoyante, au besoin féroce.
Pour écarter le comte, il irait volontiers jusqu'au coup de poignard,
« en s'embusquant le soir, armé, cuirassé ». Mais que peut sa fureur de
sang contre la coalition de la jeunesse et de la malice ? Figaro, on
l'a souvent dit, c'est Beaumarchais, mais c'est surtout le valet de l'ancienne
comédie, qui, après avoir fait tous les métiers, s'est frotté de
littérature, a pris conscience de sa valeur, et, tout en gardant une âme «
peuple », s'estime au-dessus d'un grand d'Espagne. Dès les premières scènes du Barbier,
par la hardiesse brutale de ses réparties, nous savons à quoi nous en
tenir – il servira le comte tout en le dédaignant – par sympathie et par intérêt.
Il n'aura garde d'oublier, à la fin, de demander quittance de ses cent écus.
Nous soupçonnons que ce serviteur indocile saura bien, plus tard, faire respecter
par son maitre son indépendance, et que, si jamais la tranquillité de
son ménage était compromise par un seigneur libertin, il l'en ferait repentir. C'est justement ce
que nous expose le Mariage de Figaro, où tous ces personnages se
retrouvent.
Plan du résumé du Barbier de
Séville par acte :
Le jeune comte Almaviva est
tombé amoureux de Rosine, la pupille du docteur Bartholo qui la séquestre et
veut l’épouser. Sous le nom de Lindor, il donne des sérénades Rosine. Mais
voici qu’il rencontre Figaro, qui était autrefois à son service et s’est finalement
établi comme barbier à Séville. Par bonheur, Figaro a ses entrées chez
Bartholo. Son esprit inventif cherche un moyen d’introduire le jeune comte
Almaviva auprès de Rosine.
Rosine, qui répond à
l’amour de Lindor (=Almaviva), lui écrit une lettre et la remet à Figaro. Un
fourbe, don Bazile, maître à chanter de Rosine, révèle à Bartholo les projets
d’Almaviva. Lindor, déguisé en soldat, se présente chez Bartholo et parvient à
glisser une lettre à Rosine. Mais Bartholo s’en aperçut. Il exige de voir la
lettre, mais Rosine feint l’indignation et parle de s’enfuir, sur quoi Bartholo
va fermer la porte. Mettant à profit cet instant d’inattention, elle retourne
la situation et se joue de Bartholo en comédienne accomplie.
Le comte Almaviva se
présente sous un nouveau déguisement, celui du bachelier Alonzo, élève de
Bazile qui serait malade et l’aurait chargé de le remplacer pour la leçon de
musique de Rosine. Pour vaincre la méfiance de Bartholo, il doit inventer un
mensonge beaucoup plus compliqué : non, il n’est pas maître à chanter,
mais doit passer pour tel aux yeux de Rosine ; c’est lui qui renseigne
Bazile sur les faits et gestes du comte Almaviva ; il produit une lettre
de Rosine au comte : Bartholo pourra s’en servir pour faire croire à sa
pupille que le comte la trahit. Dès lors, Bartholo a toute confiance en Alonzo,
mais il garde la lettre. Pendant la leçon de musique, les jeunes gens ne
peuvent échapper un seul instant à la surveillance du tuteur qui ne sort même
pas de la pièce pour se faire raser par Figaro. Coup de théâtre, don Bazile
arrive ! La ruse savamment élaborée par le comte devrait s’écrouler, mais,
avec l’appui bénévole de Bartholo, un complot se forme aussitôt pour empêcher
don Bazile de parler. C’est le maître en fourberie et en calomnie qui joue le
rôle ridicule, et le spectateur est ravi de voir son ahurissement croissant.
Mais, en définitive, Bartholo est berné plus encore que don Bazile. Le comte
parvient à glisser à l’oreille de Rosine : « Nous avons la clé de la
jalousie, et nous serons ici à minuit ».
Don Bazile, qui a révélé à
Bartholo qu’il ne connaissait pas cet Alonzo (=Almaviva =Lindor), lui conseille
d’employer la calomnie pour vaincre la résistance de Rosine. Grâce à la lettre
qu’il détient, le tuteur fait croire à Rosine que Lindor-Alonzo n’est qu’un
émissaire du comte, et que celui-ci la trahit. Désespérée, la pauvre Rosine
accepte d’épouser Bartholo et lui révèle que le comte Almaviva doit
s’introduire chez elle cette nuit même. Le tuteur part chercher du renfort. Sur
ce, escorté de Figaro, Lindor paraît à la fenêtre ; Rosine l’accable de
reproches, mais il a tôt fait de dissiper le malentendu et de lui apprendre
qu’il n’est autre que le comte Almaviva : la jeune fille tombe dans ses
bras. Arrivent don Bazile et le notaire qui unit le comte et Rosine. Lorsque
Bartholo revient avec la police, il est trop tard : sa pupille est devenue
la comtesse Almaviva. Il en est réduit à s’écrier : « Ah ! je me
suis perdu faute de soins ! - Faute de sens, réplique Figaro, quand
la jeunesse et l’amour sont d’accord pour tromper un vieillard, tout ce qu’il
fait pour l’empêcher peut bien s’appeler à bon droit la précaution inutile.».
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