Théâtre romantique
et apogée du vaudeville.
L'art de la mise
en scène acquière ses lettres de noblesse.
Le romantisme : une forme d'art
réactionnaire
Le mouvement des Lumières a
soulevé en France et en Europe des débats artistiques et idéologiques, qui
trouvent leur synthèse, au tournant du XIXe siècle, dans le
"romantisme". Le théâtre joue un rôle majeur dans cette évolution. Alors
que les sciences et la technique triomphent partout dans le monde, le
romantisme, comme par réaction, exalte l’émotion plutôt que la raison. Il
prétend se libérer de toute règle (et surtout des règles "classiques"
issues de la Renaissance) et cherche à transcender les limites physiques de
l'humanité pour rejoindre un idéal spirituel, proche de sa "nature
originelle" - supposée parfaite - telle que l’a
développée Jean-Jacques Rousseau.
Le romantisme exalte le
mystère et le fantastique. Il cherche l'évasion et le ravissement dans le rêve,
le morbide et le sublime, l'exotisme et le passé. Ce mouvement se place dans un
contexte artistique particulier : la société mondaine invente les concepts de
l’artiste génial" et du "poète maudit" et consomme la rupture
définitive entre "l'art" et "l'artisanat". L'époque toute
entière est dans l'exagération, l'exaltation, l'intensité à tout prix.
Le romantisme en Allemagne
C'est sans conteste en
Allemagne que le mouvement romantique prend forme. Il s'exprime dans la
musique comme dans la littérature et le théâtre où n’existe jusqu’alors
aucune autre forme dramatique que les farces campagnardes. La redécouverte
de Shakespeare et de Calderón à travers les traductions
de Schlegel, et le climat orageux qui pèse sur la deuxième moitié du
XVIIIe siècle, amènent les dramaturges allemands à créer un théâtre
national où passion, violence et force dramatique seraient les piliers de
l'action.
L’une des pièces
fondatrices du théâtre romantique est "Faust" de Gœthe.
Ressuscitant la légende médiévale de l’homme qui vend son âme au diable, cette
œuvre épique met en scène l’ambition humaine de dominer l’univers et de défier
la puissance divine. Dès les années 1820, le romantisme domine tout le
théâtre européen. Ce sont pourtant des "poètes maudits", peu reconnus
de leur vivant, qui incarnent le mieux ce nouveau style théâtral à nos yeux :
le talent de Heinrich von Kleist et de Georg Büchner ne
sera révélé qu’un siècle plus tard (c’est Gérard Philipe qui a
immortalisé "le Prince de Homburg" de Kleist, et
le "Wozzeck" de Büchner, qui est devenue une pièce du répertoire
classique, tout comme "la Mort de Danton").
Le romantisme en Angleterre
Bien que le terme
"romantic" semble avoir une origine anglaise datant du XVIIIe,
il désigne d'avantage, pour les anglais, une forme de pittoresque paysan plutôt
que l'expression violente et exaltée que lui donne le reste de l'Europe. La
nouvelle forme du romantisme rencontre beaucoup moins de succès en
Angleterre qu'en Allemagne. Il s'agit avant tout de pièces qui sont plus
proches du poème que du théâtre. Ces drames anglais, dus au génie de Byron et
de Shelley, ne furent représentés qu'occasionnellement. Notons que la
pièce de Shelley, les Cenci (1819), découverte par Antonin Artaud qui
la réécrira, invente le mythe de la "vamp".
Les littératures anglaise
et allemande ne s'étaient pliées que momentanément à la discipline du classicisme,
héritée de l'influence française. Ce qu'on appelle aujourd'hui
"romantisme" en Angleterre désigne la période où le génie
septentrional, reprenant conscience de lui-même, rejette l'imitation française.
Le romantisme en Espagne
L'Espagne succombe au
déferlement romantique avec les drames du duc de Rivas "Don
Alvaro o la fuerza del sino", 1835 (Don Alvaro ou la force du destin),
de García Gutiérrez (El Trobador, le Trouvère), d'Hartzenbusch (Los
Amantes de Teruel, 1837, les Amants de Teruel) et de José Zorilla (Don
Juan Tenorio, 1844).
Le romantisme en France
En France, Victor Hugo ouvre
avec la Préface de "Cromwell" (1827) la grande vogue romantique et
proclame la liberté totale de l'invention et de la forme théâtrale. Dans
l'œuvre du poète le théâtre n'est pourtant pas l'essentiel : il lui permet
surtout d'exprimer sa recherche poétique du langage et de l'action. Alfred de
Musset a un génie plus théâtral qu’Hugo et ses œuvres dramatiques
conservent leur fraîcheur et leur émotion retenue. Son intuition dramatique, sa
rigueur toute classique, un jeu limpide et original font de lui le seul
dramaturge qui puisse encore toucher le public.
Dans l'histoire du théâtre,
la Jacquerie (1828) de Prosper Mérimée eut une grande influence.
L'auteur essaie d'y créer une forme narrative proche de la saga et on devine, à
travers cette vaste fresque historique, les tendances d'un socialisme naissant.
Admirateurs de William Shakespeare, Stendhal et Alfred de Vigny,
théorisent quant à eux un théâtre de l’"illusion parfaite". Stendhal
souhaite instaurer une tragédie française en prose qui trouve son
accomplissement dans le théâtre romantique. "Chatterton" d'Alfred de
Vigny est une œuvre plus polémique que dramatique qui célèbre l’autonomie de
l’individu. Le théâtre romantique, qui prend fin en 1843, soulève les
passions, avec des pièces-manifestes comme Hernani de Victor Hugo.
Le
mélodrame
Parallèlement au romantisme
se développe un genre théâtral plus populaire baptisé "mélodrame".
Inspirant la crainte et les larmes, il s’appuie sur un jeu et des effets
scéniques spectaculaires. Le principal auteur de mélodrames est l’Allemand August
von Kotzebue, auteur de plus de deux cents pièces. Ses pièces sont traduites,
adaptées ou imitées dans presque tous les pays d’Occident. En France, René
Guilbert de Pixérécourt est le plus connu des auteurs de mélodrames.
Les mélodrames se déroulent
généralement en trois actes (contre cinq pour le théâtre classique). Les
intrigues reposent sur le conflit entre un "bon" et un
"méchant", le héros triomphant de tous les obstacles. L’action est
conçue autour d’une succession de péripéties et de rebondissements, alliant
batailles, poursuites à cheval, inondations, tremblements de terre, éruptions
volcaniques et autres catastrophes. Cette combinaison d’intrigues tumultueuses,
de personnages clairement dessinés, de ton moralisateur et d’effets
spectaculaires assure l’exceptionnelle audience du mélodrame.
Le
théâtre bourgeois
Dès les années 1830,
en Angleterre, Douglas William Jerrold (1803-1857), d’Edward Lytton et
l’Irlandais Dion Boucicault (1820-1890) mêlent des éléments empruntés
au répertoire romantique à une description intimiste de la société
contemporaine. Abandonnant le domaine du sensationnel et se conformant aux
théories de Diderot, le théâtre bourgeois qui naît de cette association cherche
à mettre en scène la vie quotidienne.
Le music-hall et le vaudeville
En marge du théâtre
"sérieux", des spectacles plus populaires sont présentés dans les
music-halls de Londres et dans les salles de vaudeville américaines. Il s’agit
de purs divertissements qu'on pourrait qualifier de variétés. Ils mêlent
la musique, la danse, le cirque et des saynètes comiques associées au registre
burlesque. En 1866, plusieurs genres populaires sont réunis dans le
spectacle "The Black Crook" ("le Truand
sinistre") créé à New York. Ce spectacle est considéré comme la
première comédie musicale et donnera naissance au music-hall moderne tel qu'il
est encore pratiqué aux Etats-Unis.
Le vaudeville tire son
origine et son nom des chansons normandes qui avaient cours, depuis plusieurs
siècles, dans le Val-de-Vire. Avec le temps, les Vaux-de-Vire devinrent des
vaudevilles, ou chansons qui courent par la Ville, dont l’air est facile à
chanter, et dont les paroles sont faites ordinairement sur quelque aventure,
sur quelque événement du jour.
Au XIXe, le mot change
de sens pour désigner une comédie populaire légère, pleine de rebondissements
dont les chansons ont disparu. Le théâtre chanté prend alors le nom
d'"opérette". Synthèse comique du théâtre et de l’opéra, l'opérette
est popularisée par Jacques Offenbach. Eugène Labiche affine
considérablement le genre du vaudeville, lui donnant davantage de rythme, une
charpente plus structurée, un sens clair des ressorts comiques et un style
exprimant le regard amusé qu’il porte sur la bourgeoisie. Un chapeau de
paille d’Italie (1851), chef-d’œuvre du genre, inaugure le principe de la
course-poursuite qui sera reprise dans le cinéma burlesque. Georges
Feydeau, plus préoccupé par l’efficacité dramaturgique que par le style,
systématise le genre, le ramenant à une belle mécanique qui, enclenchée sur un
quiproquo, jette les personnages dans un tourbillon de péripéties loufoques. La
comédie de mœurs, ou comédie bourgeoise, et le vaudeville fusionnent dans la
pièce "bien faite", ou "pièce d’intrigue", popularisée dans
les années 1830-1840 par Eugène Scribe puis, à la fin du XIXe siècle,
par Victorien Sardou. Proche du mélodrame, ce genre dispose d’une structure
très efficace composée de :
1-
une
exposition des personnages et de la situation
2-
une
série d’incidents menant à un paroxysme dramatique.
Ce genre utilise habilement
certains ressorts, comme le retournement de situation, le quiproquo, la
disparition d’accessoires stratégiques et un dosage précis du suspense. La formule
inaugurée par Eugène Scribe est à l’origine de tout le mouvement dramatique de
la fin du XIXe siècle, appelé le "drame bourgeois". Il sera
servi par des auteurs comme Alexandre Dumas fils, Émile Augier, Henry
Becque ou Octave Mirbeau qui prétendent aborder, à travers des
pièces "à thèse", les problèmes sociaux de leur époque.
Le naturalisme et la critique sociale
En France, au milieu du XIXe siècle,
l’intérêt pour la psychologie et les problèmes sociaux donne naissance au
naturalisme. Pour ce mouvement, l’art est investi d’une mission de progrès, qui
passe par la description objective du monde réel. Les valeurs spirituelles
qu’avait cultivées le romantisme y sont abandonnées et même combattues.
Influencés par le développement de la science et par les théories de Charles
Darwin, les naturalistes voient dans l’hérédité et le déterminisme social
l’origine des actions humaines. Leur chef de file, Émile Zola, compare l’auteur
dramatique à un physiologiste, chargé d’exhiber la maladie pour pouvoir la
guérir. Le théâtre et la littérature doivent en conséquence insister sur
les plaies de la société.
Se détournant du culte
romantique de la beauté, le théâtre naturaliste trouve son terrain
d’expérimentation sur la scène du Théâtre-Libre, ouvert par André Antoine en 1887.
Il explore les aspects les plus sombres de la société. Selon le mot du
dramaturge français Jean Jullien (1854-1919), les naturalistes
présentent "des tranches de vie, mise sur scène avec art".
Théoriquement, une pièce naturaliste ne doit avoir recours qu’au minimum de
ressorts narratifs. Dans la pratique, l’usage de péripéties et d’effets
dramatiques permet d’accroître l’efficacité de la peinture de mœurs, comme en
témoignent les pièces d’Henry Becque.
Les théories dramatiques
naturalistes s'expriment largement hors de la France : en Allemagne avec Gerhart
Hauptmann, en Italie avec Giovanni Verga, en Scandinavie avec Henrik
Ibsen et August Strindberg, ou en Russie avec Anton Tchekhov.
L’écrivain irlandais George
Bernard Shaw est influencé par Henrik Ibsen, mais en retient surtout
l'aspect "polémique sociale" plutôt que la réflexion
psychologique.
Le
théâtre russe
Le théâtre russe se
développe fortement à la fin du XVIIIe siècle. Alors que des auteurs
comme Aleksandr Ostrovski et Nikolaï Gogol ont distillé un
certain réalisme, le naturalisme s'impose comme une tendance dominante à la fin
du XIXe siècle, avec les pièces de Léon Tolstoï et de Maxime
Gorki. Anton Tchekhov, malgré ses affinités avec le symbolisme, peut également
être considéré comme un continuateur du naturalisme.
En 1898, Konstantin
Stanislavski fonde le Théâtre d’art de Moscou pour y présenter des drames
naturalistes (surtout ceux de Tchekhov). Il comprend bientôt que l’exactitude
des accessoires et des costumes ne suffit pas au naturalisme et qu’il faut
développer un style d’interprétation qui permette aux acteurs d’éprouver
— et d'exprimer — des émotions vraies.
Sa réflexion lui inspire un
système de jeu, aujourd’hui appelée "méthode Stanislavski" (bien
qu'il s'agisse en réalité d'un système de pensée plutôt qu'une méthode à
proprement parlé), qui est restée l’une des bases essentielles de
l’apprentissage du comédien et qui influencera d'une façon considérable les
acteurs et les metteurs en scène qui le suivront. Cette méthode fut reprise
par l'Actor's Studio dans les années 1950 et devint définitivement la
référence aux États-Unis pour le théâtre et le cinéma, lorsque d'anciens élèves
comme Marlon Brando, James Dean ou encore Elizabeth Taylor rencontrent le
succès.
De nos jours,
l'"Actors Studio" a essaimé dans le monde entier est a finit par
devenir le nom moderne de la méthode Stanislavski plutôt qu'une institution
localisée dans un lieu précis. Cette méthode fait désormais figure de passage
obligé pour tout comédien souhaitant évoluer dans le monde du théâtre ou du
cinéma.
La scène au XIXe siècle et la
naissance de la mise en scène
La scène du XIXe siècle
voit se développer l’usage de la "boîte" (décor reconstituant trois
murs d’une pièce, et impliquant que le public occupe la place du quatrième
mur). Ce décor trois dimensions remplace les toiles peintes qui avaient encore
cours au XVIIIe. On accorde désormais de plus en plus d’attention à l’exactitude
et à l’harmonie des décors et des costumes. La scène n’est plus un simple
trompe-l’œil mais un espace d'évolution. Les acteurs placés dans une situation
ordinaire jouent comme s’ils ne remarquaient pas la présence du public. Au lieu
de prendre la pose pour réciter une tirade, ils adaptent leur jeu au besoin
naturaliste de vraisemblance. La mise en scène est théorisée en 1884 par
le critique Louis Becq de Fouquières(l’Art de la mise en scène).
C’est le naturalisme qui
provoque l’apparition du metteur en scène moderne à la fin du siècle. Bien que,
de tous temps, les représentations aient été confiées à un organisateur (en
général l’auteur ou l’acteur principal), l’idée d’un metteur en scène suggérant
une interprétation du texte, choisissant et dirigeant les acteurs ou le
décorateur, et imprimant à l’ensemble du spectacle un style cohérent, est
nouvelle. La multiplication des effets spéciaux, le souci d’exactitude réaliste
et l’arrivée d’auteurs étrangers au monde du théâtre rendent sa présence
nécessaire. Le duc George II de Saxe-Meiningen, qui dirige les
acteurs de son propre théâtre à Meiningen, en Allemagne, est considéré comme le
premier véritable metteur en scène. En France, le premier metteur en scène
important est André Antoine, qui monte au "Théâtre-Libre" un
grand nombre de pièces naturalistes. André Antoine s’attache à la précision du
détail et dirige ses acteurs dans le sens de l’imitation la plus fidèle de la
vie.
Le théâtre attirant un plus
large public, son exploitation prend des formes nouvelles. Alors que les
acteurs faisaient auparavant partie d’une compagnie qui pouvait jouer des
dizaines de pièces en alternance tout au long d’une saison, on voit se
développer des séries de représentations à long terme. Les acteurs sont engagés
ponctuellement, pour jouer une pièce aussi longtemps qu’elle a la faveur du
public. Le siècle est celui des grands comédiens : Frédérick Lemaître, Mademoiselle
Rachel, Mademoiselle Mars, Marie Dorval brillent sur les planches et
sont les premières grandes vedettes de la Comédie-Française ou du boulevard
du Crime.
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