Le théâtre de Pierre
Corneille comporte deux inspirations correspondant à deux temps de sa vie. Le
premier temps – le moins connu – est celui de la comédie, d’une peinture
d’actions légères, insolentes, peu morales : c’est un auteur joyeux et
caustique qui fait rire son public. Le second temps – malgré deux pièces
comiques au début de cette deuxième période, bien plus longue que la première –
est celui des tragédies. Cette deuxième inspiration, qui cherche à élever l’âme
et l’esprit du spectateur, prend toute sa force à partir du Cid. Cette
tragi-comédie est influencée par le théâtre espagnol mais impose une forme et
une morale de l’héroïsme qui vont fonder le théâtre classique français (→ le
classicisme en littérature).
Corneille donne
ensuite de nombreuses tragédies, plus méditatives, très politiques, innervées
d’une sensibilité cachée, empreintes à la fois d’un sens stoïcien de la vie et
d’une forte croyance dans les vertus du christianisme.
Les œuvres
principales sont L’Illusion comique (1638), Le Cid (1637), Horace (1640), Cinna
(1641), Polyeucte (1642), le Menteur (1643), Rodogune (1647), Nicomède (1651),
Tite et Bérénice (1670), Suréna (1674).
Pierre Corneille, Nicomède
De la comédie au genre tragique
Le théâtre de
Corneille est beaucoup plus varié qu’on ne le croit. Lorsqu’il publia sa
comédie le Menteur, il écrivit dans sa préface : « Je vous
présente une pièce de théâtre d’un style si éloigné de ma dernière, qu’on aura
de la peine à croire qu’elles soient parties de la même main, dans le même
hiver. » Il venait, en effet, de faire jouer une tragédie, La Mort de
Pompée.
Corneille n’aimait
pas les règles et les qualifications trop strictes. Il qualifia Le Cid de
« tragi-comédie » avant de le rebaptiser « tragédie ». Et
il pratiqua la pure « comédie » et la « comédie héroïque »
– genre noble, qui ne prétend pas au seul divertissement. Ce qui importe
surtout est de noter que l’écrivain commença par des comédies et qu’à partir
du Cid, il cessa d’en écrire, à une exception près.
La majorité de ses
trente-deux pièces relève du genre sérieux. On raconte que Corneille suivit le
conseil d’un ami lui disant que la gloire était liée au traitement des sujets
graves. Une autre raison tient aussi dans la maturation du poète : au fil
des années, il eut une vision de plus en plus noire et de plus en plus chrétienne
de la vie et de l’Histoire. Il fut pourtant à ses débuts un remarquable auteur
de comédies.
Les comédies de jeunesse
Corneille jeune fut
le peintre de la jeunesse. Mélite ou les Fausses Lettres (1625), sa
première pièce, la Galerie du palais ou l’Amie rivale (1633) et la
Place royale ou l’Ami extravagant (1634) représentent de jeunes amoureux
qui se quittent, se retrouvent, changent de partenaire, tendent des pièges pour
éprouver l'autre ou mettre fin à leur relation… Il y a là une vivacité, une
insolence, une liberté, une forme d’immoralité qui surprennent chez un auteur
dont l’œuvre ultérieure sera de plus en plus celle d’un rigoriste observant le
jeu social et politique.
En outre, l’exercice
de la comédie permet à Corneille de parler de son époque, alors que la tragédie
est, par principe, transposée dans un univers culturel défini, lié au passé. Il
y a donc un premier Corneille tourné vers la joie de vivre et d’aimer.
Une comédie de l’illusion
Parmi ses
comédies, l’Illusion comique (1636) est la plus originale. Elle garde
ce climat de jeunesse, avec quelques personnages aux amours brouillonnes, mais
elle est surtout marquante par sa construction et par son éloge du théâtre. Sa
construction imbrique le plan de la réalité et le plan du spectacle, car le
personnage du père, qui cherche à connaître le sort de son fils disparu, croit
voir une action réelle et suit en réalité, guidé par un magicien, les
répétitions d’une pièce où joue son fils. Lorsque ce fils meurt sous ses yeux,
il croit à une mort réelle, avant de comprendre qu’il s’agit d’une simulation.
« Illusion
comique » veut dire « illusion théâtrale, jouée par des
comédiens ». Influencé par le théâtre espagnol (qui restera l’une de ses
grandes références), Corneille crée en France une dramaturgie du jeu de
miroirs, qui est une préfiguration du « théâtre dans le théâtre »
– comme l’illustrera beaucoup plus tard Pirandello. Cet art du vrai et du
faux est aussi une célébration de l’art dramatique. En un temps où la
profession de comédien est socialement très risquée (elle est notamment
condamnée par l’Église, qui excommunie les acteurs) et où les pièces ont de
plus en plus de succès, l’auteur proclame le triomphe moderne du théâtre, à
travers les propos du magicien Alcandre :
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