Après l'avoir
durement condamné,
c'est finalement
l'église qui ressuscite le théâtre en occident.
Le
drame religieux
Une messe spectaculaire
Alors que l’Église
chrétienne a vivement combattu le théâtre au début du moyen-âge, c'est elle,
paradoxalement, qui le réanime en Europe sous la forme du "drame
liturgique". Afin d'étendre son influence, elle réhabilite des fêtes
d’origine païenne et folklorique, dont beaucoup s’apparentent au théâtre. Au Xe siècle,
les offices religieux sont proches de représentations dramatiques.
La procession du dimanche
des Rameaux est désormais célébrée par des manifestations théâtrales. Les
contre-chants (ou répons), chantés durant la messe ou les heures du canon,
évoquent la forme du dialogue. Par l'intermédiaire des tropes, des paroles
non liturgiques prennent placent dans la messe. Un trope pascal anonyme
constituant un dialogue entre Marie et les anges et datant d’environ 925,
est généralement considéré comme l’embryon du drame liturgique. En 970, ce
type de représentation comporte une gestuelle et des costumes, qui apparaissent
comme une première ébauche de mise en scène.
Le drame liturgique
Les premières pièces
connues sont la "Visite au sépulcre" (Visitatio Sepulcri) datant
de 915 et attribuée au moine Tutilon et les œuvres hagiographiques de Hrotsvitha
von Gandersheim. Durant les deux siècles suivants, le drame liturgique se
développe à travers des épisodes tirés de la Bible, joués en latin dans les
monastères puis dans les églises. Initialement, les églises et les habits
sacerdotaux tiennent lieu de décors et de costumes. Mais on imagine bientôt des
aménagements plus complexes, la scène étant constituée de la
"mansion" et de la "platée". La mansion est une petite
structure scénique (généralement une tente), symbolisant un lieu particulier
(le jardin d’Éden, Jérusalem, etc.), et la platée une zone neutre, utilisée par
les interprètes pour jouer autour de la mansion.
L'abandon progressif du latin
Texte anonyme anglo-normand
de la seconde moitié du XIIe siècle (1165), le "Jeu d’Adam"
est le premier drame connu en langue vulgaire. Bien que très proche du drame
liturgique, il s’en distingue toutefois par une caricature des personnages. Trilogie
inspirée par le dogme de l’Incarnation ("Tentation",
"Péché", "châtiment d’Ève et d’Adam", "Meurtre d’Abel
par Caïn", "Procession des prophètes du Christ"), il comprend 942 vers
et comporte des didascalies latines riches et précises.
Les premiers "mystères" et
"miracles"
De nombreux récits
bibliques sont représentés, de la Création à la Crucifixion. Ces pièces sont
appelées "mystères de la Passion", "miracles" ou encore
"pièces saintes".
Des mansions spécifiques
sont dressées autour de la nef, le paradis étant généralement situé au pied de
l’autel, une gargouille (tête monstrueuse avec une gueule béante) représentant
l’entrée de l’enfer de l’autre côté de la nef. Acteurs et spectateurs se déplacent
d’un bout à l’autre de l’église selon les nécessités du récit.
Les pièces sont divisées en
épisodes, couvrant chacun des milliers d’années et réunissant des lieux très
éloignés, à l’aide de raccourcis allégoriques. À l’inverse de la tragédie
grecque, qui s’organise autour de la progression vers un apogée cathartique, le
théâtre médiéval évoque le salut de l’humanité et ne crée pas de tension
dramatique intense.
Le drame sort de l’Église
Le rôle didactique du drame
liturgique s’efface peu à peu derrière l'attrait du divertissement et du
spectacle. Ces spectacles n'ont plus leur place dans un lieu de culte et après
plusieurs scandales, l’église choisit de déplacer la scène théâtrale sur les
places de marché. Tout en conservant des thèmes religieux, le théâtre s’oriente
vers une forme de représentation plus indépendante. Les deux œuvres
représentatives de cette époque sont le jeu dramatique de Jean Bodel,
"le Jeu de saint Nicolas" (v. 1200), et la pièce allégorique de Rutebeuf,
"le Miracle de Théophile" (1263).
La Fête-Dieu
Au XIVe siècle,
le théâtre s’émancipe du drame liturgique. Dans le cadre de la Fête-Dieu, les
représentations sont organisées sous la forme de cycles, qui peuvent comporter
jusqu’à quarante pièces. Ces cycles sont joués par l'ensemble du village, tous
les quatre ou cinq ans, et sur une durée de quelques jours à un mois. Chaque
pièce du cycle est confiée à une corporation, en fonction de ses affinités avec
le sujet (par exemple, les constructeurs de bateaux mettent en scène l’épisode
de l’arche de Noé).
Le théâtre profane
A la même époque, le
théâtre profane se développe aussi. Il est représenté entre autre par les
"jeux-partis", drames où se succèdent scènes satiriques, burlesques
et féeriques d’Adam de la Halle. Cette forme théâtrale comporte divers jeux de
troubadours et de jongleurs, récitant des monologues.
Un théâtre non professionnel
La disparition des jongleurs,
au XIVe siècle, marque la fin du théâtre profane professionnel. Les
acteurs sont des amateurs le plus souvent illettrés et les pièces sont écrites
en vers simples et faciles à mémoriser. Des auteurs inconnus pratiquent un
réalisme sélectif, indifférent aux limites spatio-temporelles, truffé
d’anachronismes et de références locales ou contemporaines. Une certaine forme
de poésie l'emporte largement sur la cohérence et la logique de narration.
Les costumes et les
accessoires sont toujours contemporains tandis que la reconstitution des
épisodes bibliques repose sur des détails authentiques parfois à l'origine
d'accidents (on recense de nombreux exemples d’acteurs qui ont failli mourir
d’une crucifixion trop réaliste, ou d’interprètes du diable gravement brûlés,
etc.). À l’inverse, le passage de la mer Rouge est simplement évoqué par la
déchirure d’une pièce de tissu rouge, jetée ensuite sur les Égyptiens pour
suggérer leur noyade. Ce libre mélange de réalisme et de symbolisme ne heurte
pas la sensibilité de l’époque. La représentation s’agrémente d’effets
spectaculaires, comme les exercices d’habileté pyrotechnique.
Les "moralités"
Dans le même temps, on voit
donc apparaître des pièces folkloriques, des farces profanes et des drames
pastoraux, tandis que se perpétuent les multiples formes de divertissement
populaire. Tous ces genres influent sur le développement, au XVe siècle,
d’un théâtre moraliste.
Bien que vaguement
inspirées, pour le thème et les personnages, par la théologie chrétienne, les
"moralités", à la différence des "cycles", ne sont plus
basés sur les récits bibliques. Ce sont des pièces autonomes, jouées par des
professionnels. À l’exemple d’une pièce comme "Tout le monde"
(anonyme, XVe siècle), elles évoquent les étapes de la destinée
de l’être humain, à l’aide de figures allégoriques (la Mort, la Gourmandise et
divers défauts ou qualités, etc.). Les acteurs font alterner action et musique.
Ils exploitent les ressorts comiques des démons et des figures allégoriques du
vice pour créer une forme de drame populaire qui rencontre un vif succès.
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